• Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur son actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes avec ».
  • Sofiane Pamart multiplie les succès et déplace les foules à chacun de ses concerts. Ce vendredi, le pianiste sort Noche, un nouvel album composé à travers six pays d’Amérique latine.
  • Le musicien se confie auprès de 20 Minutes sur ses succès vertigineux, son « ambition sans limite » et il revendique une musique populaire « directement connectée à l’émotion ».

Il bouscule les codes et multiplie les succès. Sofiane Pamart est un des représentants du courant « néo-classique » pour certains, « pianiste du rap français » pour d’autres. Sous les aurores boréales en Laponie ou au cœur de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, il fait salle comble. En 2022, il a même été le premier pianiste soliste à remplir l’Accor Arena à Paris, enflammant la salle et son instrument (littéralement). Du haut de ses 33 ans, il figure dans le top 10 des artistes de musique classique les plus streamés au monde, cumulant les millions d’écoutes.

Après Letter, adressé à ses fans, il revient ce vendredi avec son nouvel album Noche. L’artiste a composé ces morceaux lors d’une tournée en Amérique latine, à travers six pays comme le Mexique, la Colombie ou le Chili. Sofiane Pamart se confie auprès de 20 Minutes sur ses succès vertigineux et son « ambition sans limite ».

Dans quel état d’esprit avez-vous composé « Noche » ?

J’aime ancrer chaque album dans un territoire particulier. Comme ça, je suis sûr d’être inspiré par des énergies et un moment de vie différent. Je n’arrive pas à créer à la commande, j’ai besoin de vivre des choses qui vont me bouleverser pour pouvoir le transférer dans mon piano. Ce voyage en Amérique latine avait l’air d’être une grande aventure. Entre mes concerts et un programme très chargé, je me suis retrouvé à beaucoup composer la nuit où tout est plus calme. Petit à petit, j’ai pris goût à ce petit rituel de composition. Je me suis aussi rendu compte que les mots, en fonction des langues dans lesquelles tu les prononces, racontent quelque chose de différent. Pour moi corazon ne veut pas dire la même chose que cœur ou heart en anglais. Cet exercice en espagnol rendait hommage à tous les gens que j’ai rencontrés là-bas et a donné une couleur particulière à mes morceaux.

Cet album arrive après une période particulièrement lumineuse pour vous, faites de succès et de concerts. Il y a un lien ?

Chaque année qui passe je suis un peu plus heureux. C’est toujours plus lumineux et je suis embarqué dans une aventure passionnante. Mais il est vrai que plus je suis sollicité, plus il y a du vertige et je ressens alors des moments de grande solitude ou l’envie de me retrouver seul. Avant, j’avais beaucoup de temps et peu de moyens. Là, c’est l’inverse, mais le temps est devenu ma denrée la plus précieuse. Tout ce que je ne peux pas raconter, tout l’envers du décor de ce qui m’arrive de positif, je le raconte avec mon piano.

Qu’avez-vous trouvé dans ces pays ?

Ce qui m’a fasciné en Asie pour l’album Letter, c’est toute la culture du protocole. Là, j’avais envie de l’inverse, d’une communication très facile, de quelque chose de plus charnel, plus dansé… Même un peu plus chaotique. C’est ce que j’ai trouvé en Amérique latine où la vie prend le dessus sur tout le reste. On se touche, on se parle, il y a un rapport complètement différent et j’en avais besoin. Surtout pour parler de la nuit où le côté charnel est super important.

Est-ce que le nord de la France, votre région natale, et notamment le bassin minier où plusieurs personnes de votre famille ont travaillé, pourraient vous inspirer un album ?

Ce que j’aime dans la création, c’est d’aller chercher dans quelque chose de très personnel le levier qui va me connecter à quelque chose de très universel. Quel lien, par rapport aux mines, pourrais-je réussir à raconter au monde ? Je n’ai pas encore trouvé. Cette histoire est ce qui donne du sens à mon parcours, ce qui me donne de l’ambition tous les jours. Je me sens tellement privilégié de travailler avec mes mains sur un piano, là où mon grand-père travaillait avec ses mains dans les mines. En plus je suis descendant de mineurs des deux côtés de ma famille : du côté maternel, mon grand-père a émigré du Maroc pour travailler dans les mines près de Valenciennes. Du côté de mon père, c’est une génération au-dessus, mes arrière-grands-parents vivaient dans les corons.

Cette histoire vous semble-t-elle trop proche pour vous en emparer musicalement ?

Peut-être. J’accède à une vie que personne n’aurait pu imaginer. Je viens de participer aux célébrations du centenaire de l’hôtel La Mamounia à Marrakech, qui n’est vraiment pas très loin de Taroudant, la ville d’où vient mon grand-père. De là où il est [son grand-père est décédé], il doit être tellement surpris ! Jamais il n’aurait pu imaginer ça. C’étaient des lieux qui le fascinaient, qu’il trouvait magnifiques mais il ne s’était jamais senti concerné. C’est tellement bouleversant par rapport à l’histoire de ma famille. Il y a des choses, il est encore trop tôt pour les raconter avec le bon recul.

Vous aimez jouer dans des endroits extraordinaires comme en Laponie, sous les aurores boréales. Qu’est-ce que cela apporte à votre musique ?

J’aime beaucoup le côté de la performance, créer une situation qui est difficile à mettre en place. Par exemple, lors de mon concert à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, il a fallu apporter le piano à queue par hélicoptère. C’était impressionnant, on le voyait valser dans les airs comme s’il dansait. Quand on arrive à créer des moments comme ça, on apporte beaucoup de rêves et de magie dans l’imaginaire collectif. C’est ce que j’aime, le rêve que je peux offrir aux gens qui me suivent.

Quels seront les prochains ?

Je n’ai aucune limite. Un énorme rêve serait de jouer dans l’espace, mais je ne sais pas dans quelle mesure ce serait possible. Mais si jamais ça l’est, j’espère être le premier. Les hauteurs m’attirent beaucoup, comme une montagne par exemple. Le fait de décontextualiser le piano, le sortir, le mettre dans des environnements naturels, je trouve ça magnifique. En revenant du Maroc, je me disais aussi que j’aimerais beaucoup me produire dans le désert. J’ai plein d’idées.

En 2022, vous avez été le premier pianiste soliste à remplir l’Accor Arena. Vous aviez imaginé vous y produire un jour ?

J’ai toujours eu une ambition sans limite mais je rêvais avec mon référentiel. Etre une star, c’était déjà peut-être pour moi me produire devant 500 personnes. Tant que je n’étais pas sur scène et que me premières notes n’avaient pas commencé, je n’arrivais pas à réaliser. A un moment donné, j’ai failli perdre connaissance en plein show. J’avais changé de tenue, je remontais sur scène et tout le public avait allumé des flashs tout autour de moi. Je me disais : « Mais qu’est-ce qui est en train de se passer ? »

Vous comptez aussi parmi les dix artistes classiques les plus streamés au monde…

J’adore les chiffres dans la musique parce que ça représente des gens qui sont émus. Depuis que j’ai commencé à rencontrer mon public à travers mes concerts, je me rends compte à quel point ces chiffres signifient quelque chose de fort derrière. Au Maroc, plein de gens qui ont bossé dans l’événement m’ont dit : « J’ai eu une période compliquée dans ma vie et tous les soirs je m’endormais avec ta musique. Tu m’as vraiment accompagné. » Ça me touche beaucoup parce que ça veut dire que ma musique a été là pour eux. C’est ça qui me rend fier, que derrière ces chiffres j’apporte quelque chose de positif.

Un article du « Figaro » intitulé « De Pamart à Riopy, comment le néo-classique est devenu « le classique pour les nuls » », déplore que certains artistes trustent les classements de stream de la musique classique. Pensez-vous y avoir légitimement votre place ?

Ils vont le déplorer encore longtemps parce que je ne compte pas sortir des tops. Qu’on discute de ce qu’est ma musique, si c’est du classique ou non, chacun peut donner son avis, ça m’est complètement égal. J’ai gagné la légitimité avec le conservatoire, je n’ai pas besoin d’aller la chercher par mes pairs ou par des gens spécialisés. Mais quand on dit « le classique pour les nuls », qui sont les nuls ? Mon public ? Ça, ça me déplaît vraiment. Je n’aime pas le côté un peu condescendant qu’il y a dans ce genre d’articles. Comme si on pouvait décider à la place des gens ce qu’est la haute musique, la richesse musicale… Je ne suis pas un enfant de musiciens. Je comprends très bien le regard qu’on a sur la musique, sur ce que représente le piano et la fierté que l’on peut en avoir. Je trouve que ce genre de débats dépassent un peu la musique,et c’est ça qui me dérange un petit peu. Le reste me passe au-dessus.

Peut-être y a-t-il un problème au niveau des plateformes de stream ?

Pour moi, il n’y a pas de problème. On est tous entraînés par un quotidien avec plein de préoccupations. Qu’est-ce qui nous apporte du rêve et de belles émotions ? C’est ça, le plus important. Je pense que la musique a vraiment une fonction d’accompagnement dans la vie quotidienne. Que ce soit pour ambiancer parce qu’on a besoin d’énergie pour commencer sa journée, pour avoir de la motivation, pour aller au sport. On écoute beaucoup ma musique pour se concentrer, pour passer dans des moments un peu plus introspectifs… Parfois pour accompagner des deuils ou surmonter certaines choses de la vie. Pour moi, c’est ça, le vrai débat. Le reste… Est-ce que c’est du classique ou non ? Pourquoi ce type de musique streame plus qu’une autre ? Ça m’est vraiment égal.

Est-ce que derrière, il y a cette question autour de la difficulté du classique à être considéré comme une musique populaire ?

On a un peu l’impression que la culture de l’excellence doit être celle d’une élite. Je ne suis pas d’accord. On peut avoir un art très sophistiqué et en même temps très spontané et populaire. Je revendique vraiment la musique populaire. Si on me dit que la mienne l’est, pour moi, c’est un compliment. Ça veut dire qu’elle est directement connectée à l’émotion. L’idéal, c’est une musique savante et populaire. Quand elle garde quelque chose de très spontanée comme la musique de Chopin, dont ses valses sont très populaires. Et en même temps, c’est très savant. Mais je trouve qu’il ne faut pas être déconnecté de la vraie vie, des gens, de l’émotion simple en fait. C’est ça qu’il y a de plus beau.

Est-ce peut-être votre look qui détonne, ainsi que vos nombreuses collaborations avec des artistes de la scène rap ?

Je ne sais pas, mais je suis très content de bousculer les codes et d’être provocant par rapport à des gens qui sont habitués à voir les pianistes dans une certaine tenue, avec un certain entourage. Comme s’il fallait avoir une certaine fréquentation pour pouvoir faire du piano. Si c’est ça qui est sous-entendu, vous pouvez compter sur moi pour continuer à bien secouer tout ça.

Source: Lire L’Article Complet