- La série Tapie, disponible sur Netflix, raconte une version romancée de la vie de Bernard Tapie de la fin des années 1960 à son incarcération en 1996.
- A travers la trajectoire de l’homme d’affaires, les créateurs de la série et son interprète Laurent Lafitte ont cherché à faire de l’histoire intime un portrait de la France de ces années-là.
- « Nous avons articulé la vie du personnage avec l’évolution du pays, parce que Bernard Tapie, pour nous, est une des incarnations les plus incroyables de la deuxième moitié du XXe siècle. »
Nanard qui chante, Nanard qui vend des téléviseurs, Nanard qui rachète Wonder, Nanard qui gagne la Ligue des champions, Nanard qui affronte Le Pen et rencontre Mitterrand, et puis Nanard qui va en prison… La vie de Bernard Tapie semble être une succession de passage télé. Tapie, la série Netflix librement inspirée de sa vie, ne passe pas à côté de ces moments-là et les reproduit même avec une réjouissante fidélité mimétique. Mais, comme en affaires, le plus intéressant dans la vie, ce sont les marges.
On voit ainsi Tapie qui séduit la secrétaire de son associé pour en faire la femme de sa vie, Tapie qui triche au Monopoly quand il joue avec sa fille, Tapie qui piège un aristocrate après lui avoir servi une paella, Tapie qui se débat dans le bureau du juge… En somme, un personnage qui met ses mensonges au profit de sa vérité : il est taillé pour le succès.
« Redonner à Tapie sa dimension romanesque »
Laurent Lafitte incarne Bernard Tapie avec cette contradiction de ne pas chercher, non plus, la vérité. Et cette démarche d’acteur résume la volonté d’une série qui, par l’intime, raconte l’histoire d’une légende française, et de la France des années 1970 à 2000.
« Ma base d’interprétation a été ce qui avait infusé en moi en tant que spectateur de Tapie. J’ai pris ce que je connaissais de sa gestuelle, de son phrasé à travers ses passages télé, ce que tout le monde connaît de lui. Je me suis accordé, dans ma manière d’incarner Tapie, la même liberté que la série. Le scénario est à 50 % véridique et à 50 % inventés. Moi c’est pareil, j’ai pris 50 % de Tapie et 50 % de moi. »
« Nous avons voulu faire le portrait intime de Bernard Tapie et lui redonner sa dimension romanesque, explique Tristan Séguéla, cocréateur de la série. Bernard Tapie a eu mille vies, nous on avait sept épisodes. Alors on a fait des choix, on s’est nourris de ce parcours incroyable pour raconter notre Bernard Tapie. »
Ni excuse, ni accusation
Si elle s’ouvre sur l’incarcération de Bernard Tapie en 1996 pour retracer, à rebours, ce qui l’a conduit là, la série semble beaucoup pardonner à son personnage. Comme beaucoup de Français aujourd’hui. « Quand on a commencé à travailler sur le projet il y a dix ans, Bernard Tapie était encore en vie et était une personnalité beaucoup plus controversée qu’aujourd’hui, explique Olivier Demangel, cocréateur de la série. Notre propos n’est pas d’excuser ou d’accuser, mais de tenter une explication. »
Et là encore, l’histoire intime croise l’histoire collective. « Nous avons articulé la vie du personnage avec l’évolution du pays, parce que Bernard Tapie, pour nous, est une des incarnations les plus incroyables de la deuxième moitié du XXe siècle. » La trajectoire de Tapie embrasse ainsi celle du pays : passion dévorante pour la médiatisation et la télévision, omniprésence du star-system, crises économiques et bonds technologiques, perte des repères politiques… Surtout, on suit un homme et un pays qui pensent que tout leur est accessible – voir dû – malgré les embûches, et malgré la modestie, de sa taille pour la France et de ses origines sociales pour Tapie.
Une certaine idée de la France, qui a des idées
« Même quand il ne fait pas de politique, la vie de Tapie, c’est politique, selon Tristan Séguéla. Son parcours permet une radioscopie politique de l’époque, du libéralisme de ces années-là, de l’idée qu’on se fait alors du succès, de l’idée que la France se fait d’elle-même. »
Mais si la trajectoire Tapie est intimement liée à celle de la France de l’après crise pétrolière, les créateurs de la série avaient également en tête « le téléspectateur guatémaltèque, rigolent-ils en chœur. Netflix, c’est international. Et on espère que notre propos l’est aussi. Parce que des trajectoires comme celle-ci, d’un homme issu du peuple, touche à tout, qui réussit en affaires jusqu’à devenir – presque – président de la République, et pour lequel tout s’effondre un jour, il y en a dans tous les pays. »
C’est la faute de Michel Polnareff
Pour Laurent Lafitte, il y a un mythe Tapie parce que sa trajectoire est émouvante. Lui a été « touché par le besoin de Tapie, universel, de provoquer l’admiration dans le regard du père » et par « son parcours d’artiste raté. Il a un besoin impérieux de notoriété, ça lui a donné le sentiment d’être vivant, d’exister plus que lui-même. Mais je crois qu’il aurait aimé avoir ce lien-là avec les Français par la dimension artistique, plutôt que par les affaires. D’ailleurs, quand il a la possibilité de chanter à nouveau – pas parce qu’il est devenu un bon chanteur mais parce qu’il est devenu un homme qui en a le pouvoir –, il rechante. Et quand il ne peut plus faire d’affaires, il fait l’acteur. »
C’est pour cette raison que les réalisateurs ont choisi de débuter leur série avec la blessure d’ego qui, de leur point de vue, lance la vie d’entrepreneur de Bernard Tapie. A 20 ans, celui que se fait alors appeler Bernard Tapy bat Michel Polnareff à un radiocrochet. Pour autant, sa carrière s’arrête juste après ce bref coup d’éclat. « Tapie est un personnage à qui on a promis le succès quand il avait 20 ans, il ne l’a pas eu, explique Olivier Demangel. Notre série raconte comment il va faire pour le retrouver. A n’importe quel prix. »
« Il a l’inconséquence de sa sincérité »
Menteur et charmeur, le Tapie de la série paye au prix fort ses erreurs pour servir d’exemple : un prolétaire n’a pas le droit d’échapper à sa condition. Ce message marxiste, les créateurs de la série l’assume à demi-mot. « C’est un grand opportuniste avec ce que ce terme a d’ambigu et de double, explique Tristan Séguéla. Il est resté attaché à ses origines sociales prolétariennes, qu’il n’a jamais trahies et même toujours revendiquées. Il y a chez lui un opportunisme de la sincérité. Il a toujours pensé qu’il était l’homme providentiel. A un moment ça s’est effondré, parce qu’il a l’inconséquence de sa sincérité, mais son est combat noble dans l’intention. »
« Le cynisme n’est pas une donnée du personnage, estime Olivier Demangel. Quand il devient ministre de la ville, il croit sincèrement qu’il va régler le problème des banlieues. Quand il affronte Le Pen en débat télévisé, il y a une part énorme d’opportunisme, il sait ce que ça va générer comme discussions dans le pays et qu’il va profiter de cette bulle médiatique. Mais il est aussi persuadé qu’il peut régler le problème du racisme en France. »
Un héritage en commun
Il aurait été passionnant d’entendre Bernard Tapie, décédé en 2021, commenter cette vision de son parcours, romancé mais plausible, romanesque mais très humain. Au lieu de ça, la série s’est faite sans l’accord de la famille. « C’est dommage mais c’est comme ça, regrette Tristan Séguéla. Cela n’a rien changé à notre approche, et ça ne m’étonne pas qu’ils réagissent comme ça. Parce que j’imagine bien que ce n’est pas agréable pour eux. Mais Bernard Tapie est un mythe. Il appartient un peu à tous les Français aujourd’hui. Son histoire appartient à qui veut la raconter. »
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