Méconnue, elle est, grâce aux progrès de la génétique, en plein essor. Décryptage.
• Qu’est-ce que la médecine prédictive ?
Elle vise à prédire et à anticiper l’apparition de maladies afin de mettre en place des stratégies de dépistage ou de prévention adaptées. Elle repose essentiellement sur la génomique (science qui étudie le génome, l’ensemble de l’information génétique d’une cellule d’un individu) et sur l’intelligence artificielle (IA). Cette dernière a notamment permis la création d’applications dédiées au diagnostic, de prédictions de sensibilité à tel traitement médicamenteux… La médecine prédictive intervient surtout dans le champ de la cancérologie (prévention et traitements ciblés) et des maladies rares (diagnostic). Mais elle concerne aussi d’autres spécialités médicales, comme le domaine cardiovasculaire. C’est un enjeu important de pouvoir mesurer les facteurs de risque de ces maladies.
• Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est au cœur de cette médecine. De quoi s’agit-il ?
Dans le cadre d’une procréation médicale assistée (PMA), le DPI consiste à effectuer des tests génétiques des embryons conçus in vitro afin de déceler un risque génétique fort de maladie rare et incurable et d’orienter le choix de l’embryon à implanter. Concrètement, le DPI est proposé aux familles à risque pour lesquelles la prédisposition génétique à telle maladie génétique est connue. Cela concerne une centaine de maladies graves et incurables. On distingue les maladies de transmission autosomique dominante et les maladies à transmission récessive.
Dans le premier cas (rétinite pigmentaire, syndrome de Marfan…), un parent atteint a 50 % de risque de transmettre la maladie à son enfant. Dans le second cas (mucoviscidose, atrophie musculaire spinale…), si les deux parents sont porteurs sains du gène défectueux, leur enfant encourt 25 % de risque d’être malade et 50 % de risque d’être porteur sain. Problème : pour ces dernières, il n’y a généralement pas d’antécédents médicaux de la maladie génétique, ni de parents atteints. D’où peut-être, comme le suggérait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE, avis 129), l’idée de proposer un dépistage préconceptionnel (dépistage des parents non malades mais pouvant être porteurs sains avant la conception d’un enfant) de plusieurs maladies génétiques rares et incurables à tous les couples souhaitant des enfants. Pour l’instant, cette possibilité est exclue s’il n’existe pas d’antécédents familiaux.
• Les détracteurs du DPI rétorquent que ce « tri d’embryon » est contraire à l’éthique et pointent le risque d’une quête de « l’enfant parfait ». Que leur répondez-vous ?
Je ne peux nier que ce risque de dérapage existe au niveau mondial. Néanmoins, en France, nous avons mis en place des garde-fous. Sortons un instant de la théorie pour entrer dans la vraie vie. Il existe un réel décalage entre l’observateur détaché qui prend le temps de réfléchir aux problèmes éthiques les plus abstraits et le médecin praticien qui accueille en consultation des gens désespérés. Je me souviens notamment de ce couple : l’homme souffrait d’un rétinoblastome bilatéral (cancers des deux yeux), une maladie héréditaire qui lui avait fait perdre la vue durant l’enfance. Sa demande était claire : soit il avait la possibilité d’avoir un DPI pour que son enfant ne soit pas atteint de cette maladie, soit il renonçait totalement à son désir d’être père.
• La médecine prédictive détecte aussi les formes génétiques de cancer du sein associées à une mutation des gènes BRCA 1 et BRCA 2…
Ces mutations spécifiques, qui concernent une femme sur 200, augmentent le risque d’être atteinte d’un cancer du sein et de l’ovaire. Pour le cancer du sein, ce risque est de 12 % dans la population générale. Il oscille entre 51 et 75 % chez les femmes qui ont la mutation BRCA 1 et entre 33 et 55 % chez celles porteuses du gène BRCA 2 muté. Mais dans 50 % des cas, les femmes concernées n’ont pas d’antécédents familiaux. Cela s’explique par le fait qu’une femme peut tout à fait hériter de cette mutation de son père. C’est pourquoi je ne vois pas pourquoi une femme qui souhaite faire ce test ne peut pas y accéder. Pour celles porteuses du gène muté, le dépistage personnalisé des seins et la protection ovarienne (ablation des ovaires vers 45 ans) sauvent la vie à une femme sur quatre (sans même opter pour une chirurgie mammaire préventive).
Les gènes ne font pas tout !
On évoque aujourd’hui la part de l’épigénétique, c’est-à-dire l’ensemble des mécanismes (facteurs d’environnement comme l’alimentation, l’activité physique, le stress…) qui modulent l’expression des gènes, sans en changer la séquence. En d’autres termes, on peut tout à fait avoir une prédisposition à telle maladie et ne jamais la développer. Un nouveau champ s’ouvre pour connaître les mesures et habitudes de vie protectrices.
Interview du Pr Pascal Pujol, médecin généticien spécialisé en cancérologie, président de la Société de médecine prédictive et personnalisée et auteur de La Médecine prédictive (éd. Human de Science).
Églantine Grigis
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