On peut aller le voir sur le net, ce petit court-métrage (moins de six minutes) de « 3e scène », le site d’expériences filmées de l’opéra de Paris : Cogitore filmait il y a deux ans Dembélé et d’autres dans le morceau-tube des « Indes galantes » (1735), « La danse des Sauvages ». Eblouissant tour de force, tout en énergie, en rage, en puissance, les gestes de la Street Dance parfaitement adaptés à la rythmique saccadée de Rameau. Le morceau est repris tel quel sur la scène aujourd’hui, c’est un des moments les plus forts du spectacle, reçu avec des applaudissements nourris.
Toutes les formes de danse de rue
Toutes les formes des danses de rue sont donc à l’honneur. Oubliées les danses baroques traditionnelles, place à une quarantaine d’artistes spécialistes qui du hip-hop, qui de la break dance, qui du Krump (le style des « Sauvages ») ou du voguing ou du Waacking (qui imite avec ironie les poses glamour des stars d’Hollywood). Et, disons-le très vite, leurs interventions adhèrent parfaitement à la musique de Rameau.
Une gestuelle souvent trop timide
Comme si Cogitore et sa chorégraphe n’avaient pas voulu (pas osé ?) construire à plein un opéra-ballet où la musique et la danse seraient constamment en osmose. Que certains airs ne s’y prêtent pas, on le veut bien. Mais trop souvent, derrière les chanteurs, les danseurs relégués, contraints à de timides, trop timides mouvements, limités à un bras qui s’étire, un genou qui glisse, quatre têtes qui tournent ensemble, et l’habitude de ces décors à fond noir n’aide guère à les distinguer. Un très beau moment de Break Dance quand Sabine Devieilhe chante (si bien, à murmure) l’air « Viens, hymen » mais il frappe d’autant qu’il n’y en a pas beaucoup d’autres. Et pourtant, il y en a, des danses, dans l’œuvre, et qui parfois ralentissent l’action !
Une représentation musicalement magnifique
Et pourtant, comme on le voit dans ces chorégraphies trop parcimonieusement distillées, Cogitore et Dembélé pouvaient compter sur la disponibilité des chanteurs et des choristes qui participent eux aussi au travail dansé, et visiblement avec beaucoup de plaisir, au milieu de leurs camarades. Nous restent alors quelques rares beaux moments et surtout un exceptionnel plateau chanté : les filles, Julie Fuchs, Sabine Devieilhe, et Jodie Devos désormais dans la cour des grands ; les garçons, le « ténor di grazia » Mathias Vidal, la puissance d’Alexandre Duhamel, l’élégance de la basse Edwin Crossley-Mercer. Sans compter Sempey et Stanislas de Barbeyrac qui se livrent eux aussi avec beaucoup d’humour à des «battles»… de chanteurs : qui aura le plus de puissance ? Qui tiendra la note le plus longtemps ?
Standing ovation
Au final une standing ovation, qui incluait aussi le metteur en scène et son équipe. Peut-être, comme les publics d’opéra et les publics de ballet ne sont pas les mêmes, redoutait-on d’ennuyer les amoureux du chant avec des danses si éloignées de leur culture. Or justement : l’altérité, cette attention à l’autre dont parle Rameau et dont parle aussi Cogitore dans ses notes de programme, elle ne se fait pas seulement d’un peuple à l’autre, elle se fait aussi entre communautés.
« Les Indes galantes » de Jean-Philippe Rameau, mise en scène de Clément Cogitore, chorégraphie de Bintou Dembélé, direction musicale de Leonardo Garcia Alarcon. Opéra-Bastille, Paris, jusqu’au 15 octobre
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