Comment le shapewear est-il devenu tendance ?

Mal-aimé de la lingerie, le shapewear se réinvente sous un jour modeux, détournant les codes de l’avant-garde en matière de dessous désirables. Authentique révolution ou savant tour de passe-passe marketeux ?

À première vue, tout semble les opposer. En effet, rien ne semble plus difficile à concilier dans le champ lexical modeux que les mots tendances et lingerie sculptante. Antinomiques dans l’imaginaire collectif, ces deux termes seraient pourtant en passe de devenir synonymes. C’est du moins ce que révèle une enquête du cabinet d’études Edited qui indique que le marché de la gaine (et autres dessous qu’on avait jadis honte de porter) aurait augmenté de 143% en 2018. Une croissance exponentielle donc, qui s’avère d’autant plus intrigante qu’elle concernerait essentiellement les 15-24 ans, par ailleurs plus dépensières que la moyenne des femmes en matière de lingerie. “Les pièces plébiscitées sont bien entendu les culottes gainantes, mais aussi les shorts et t-shirts à manches longues sculptants.” précise l’étude.

Le shapewear nouvelle génération

Et pour cause, à l’heure du body acceptance et d’une lutte éperdue pour plus d’inclusivité, les millenials seraient en quête de dessous pragmatiques, confortables et esthétiques qui épousent leurs formes et leur carnation en lieu et place d’une lingerie sexualisante aux injonctions (souvent) culpabilisantes. Exit le push-up ou le tanga à la Victoria’s Secret exigeant un improbable corps de déesse, place aux dessous second peau qui nous fait (presque) oublier la nôtre.

Ils n’aiment pas les gaines, ni même le mot “gainant”

“Ils veulent du shapewear, mais ils le veulent confortable et naturel.” expliquait Liliana Mann, fondatrice de Rêve Rouge, une boutique de lingerie auréolée de cool de Toronto. “Ils ne veulent pas donner l’impression de faire deux tailles en moins. Ils n’aiment pas les gaines, ni même le mot “gainant” précise-t-elle dans les colonnes du Elle Canada. Elle cite ainsi Opaak, un jeune label allemand dont les culottes réalisées à partir de tissus recyclés conjuguent compression subtile et désirabilité.

Un exemple emblématique des évolutions récentes du marché de la lingerie sculptante, qui rebaptisé “shapewear” même en France, se décline aujourd’hui sous de nouvelles formes, de nouvelles couleurs et de nouvelles matières, mixant performance technique et renaissance esthétique. Résolument minimalistes, ces marques oscillent entre inspirations vintage et inflexions streets, élevant le design épurée et textiles high-tech au rang de maîtres-mots de ces dessous amincissants.

On pense bien entendu au label shapewear annoncé avec grand bruit au début de l’été par l’inimitable Kim Kardashian, qui commercialisera dès le mois de septembre une vaste gamme de sous-vêtements de maintien sous le nom de Skims SolutionWear. Allant du XXS au 5XL, ces bodys, shorts, combinaisons et brassières aux lignes racées sont déclinés dans une large palette de nudes, permettant à toutes les femmes de les adopter sans quelconque forme de discrimination.

Des prétentions universalistes donc, qui se couplent parfois à des velléités fonctionnelles, comme le démontre aussi la marque Fortnight qui s’applique à faire du shapewear moins un outil d’oppression qu’une source de bien-être. “Nous utilisons des tissus stretch et non stretch en fonction des pièces mais aussi des nylons respirants, qui favorise l’hydratation de la peau.” explique la designer Christina Remenyi.

Sans dessus dessous

En matière de tendances contemporaines, l’heure est en effet au brouillage (volontaire) des frontières, les vêtements autrefois voués à être dissimulés se trouvant aujourd’hui sublimés. Tandis que la “slip dress” se porte en pleine rue avec des baskets, l’athleisure s’extirpe des cours de yoga et le pyjama de soie s’improvise, parfois, tenue de gala. Sur Internet,  les “outfit of the day” ne jurent que par la bralette (ou presque) et le cycliste serait le nouveau sexy. Outre une revendication de confort et une certaine forme de conformité au “zeitgest” impulsé par les marques de luxe sur les podiums, ce mix&match stylistique traduit en filigrane une volonté d’émancipation des codes vestimentaires classiques. Le vêtement – ou ici le sous-vêtement – se veut moins réponse à une norme esthétique et sociale que vecteur d’une certaine forme d’affirmation de soi, qu’elle soit corporelle ou identitaire.

Seul bémol : aussi marketé soit-il, ce retour de flamme du shapewear auréolé de hype n’enraye pas moins la quête – peut-être aujourd’hui difficilement plus avouable sous couvert de body acceptance – d’une certaine silhouette idéalisée que ces sous-vêtements continuent de cautionner. Sur Instagram, le hashtag #waisttraining, en référence à l’utilisation d’un corset pendant la pratique d’une activité sportive, dépasse aujourd’hui la barre du million de posts publiés, notamment suite à l’approbation d’une certaine Kim Kardashian. Exhiber ses abdos naissants dans le miroir de la salle de sport est devenue légion, le tout affublée de (sous) vêtements en premier lieu créés pour leur aspect amincissant.

Sur les campagnes publicitaires des labels précédemment mentionnés, les corps, aux morphologies certes diverses et variées, n’en sont pas moins scénographiés, magnifiés, à grands renforts d’éclairage blafard et de fond blanc. Gros ou non, ils se doivent finalement d’être beau, ou du moins être perçus par la consommatrice comme tel. À croire que le shapewear version 3.0 ne serait pas plus qu’un nouveau nom pour désigner les mêmes (vieux) maux.

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