Le photographe allemand a longtemps partagé avec et pour “Marie Claire” une certaine idée de la femme et de la mode, dépouillée de tout artifice. Retour sur un parcours honnête et lumineux, qui s’est arrêté le 3 septembre dernier.
Il portait un nom d’aviateur de légende, lui, le forçat des vols transatlantiques au point, dit-on, d’y avoir usé sa santé. Peter Lindbergh avait fait partie, avec Steve Hiett (disparu huit jours auparavant), Sacha et Paolo Roversi, du carré d’as de la photo de mode du Marie Claire cuvées 70 et 80.
Peter Lindbergh s’était lancé dans la photographie après avoir fait un détour par la peinture. Le hasard, qui est la main du destin, avait décidé qu’il serait photographe après qu’il eut à se servir d’un appareil photo pour une commande d’une revue d’art. Repéré par le magazine allemand Stern, ce disciple et admirateur de l’artiste conceptuel Joseph Kosuth avait tout de suite élu le noir et blanc, avec sa vérité dite, ses contrastes appuyés, son intemporalité saisissante.
« Il n’a jamais donné dans la douceur »
Installé à Paris en 1978, Peter Lindbergh frappe immédiatement les esprits par sa singularité puissante. En particulier à Marie Claire, où la rédactrice en chef de la mode Claude Brouet le remarque et ne cesse dès lors de le faire travailler : « Il aimait comme moi les mannequins aux personnalités très affirmées, les femmes fortes comme Leslie Winer. Il n’a jamais donné dans la douceur. Tout ce qu’il a fait pour Marie Claire dégageait une très grande énergie. Capter la force d’un vêtement faisait bien sûr partie de son travail mais cela n’allait jamais sans une vision frontale très honnête de la représentation de la femme. Je conserve un souvenir magnifique de notre dernière collaboration. C’était un sujet inspiré de Renée Perle, la sublime muse de Lartigue ».
Fabienne Martin, la fondatrice de l’agence FAM qui n’aimait que les filles exultant une sincérité absolue, s’était tout de suite entendue avec cet homme affable qui se méfiait des artifices du maquillage. « J’ai beaucoup travaillé avec Peter. Il était respectueux des femmes et militait pour une photo très naturelle. Il avait opté pour le noir et blanc parce que celui-ci apporte quelque chose de dramatique et provoque en même temps une émotion brute ».
Peter a photographié l’âme humaine derrière les vêtements
S’il s’est opposé avec véhémence aux desideratas des publicitaires américains fans de Photoshop, cela ne l’empêchait pas bien sûr de retoucher ses photos comme tout créateur, mais « pourquoi le nier ? Ce n’est pas un péché » , comme tient à le rappeler le photographe américain Erik Madigan Heck. La reconnaissance planétaire viendra de la couverture du Vogue Royaume-Uni de janvier 1990 sur laquelle sont réunis les supermodels de l’époque : Linda Evangelista, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Christy Turlington et Tatjana Patitz. Une photo emblématique dont la référence est usée jusqu’à la corde mais qui marqua un tournant dans l’approche du mannequinat.
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« Libérer les femmes de cette idée de perfection »
Catherine Lardeur, adjointe de Claude Brouet à Marie Claire puis rédactrice en chef, se souvient : « Peter est responsable de l’éclosion de Linda Evangelista qui auparavant n’était qu’une jolie fille parmi d’autres. Il avait eu l’idée, lors d’un shooting, de lui demander de se couper les cheveux à 5 cm et d’à peine se maquiller. Linda était devenue, en une séance, quelqu’un d’une grande modernité que tout le monde s’arracha par la suite. Peter captait la fragilité de la femme tout en révélant celle-ci en pleine possession de sa force et de son pouvoir« .
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