- France 2 diffuse une série inspirée du « violeur de la Sambre » qui a agressé plus de 50 femmes pendant plus de trente ans.
- Coécrite et réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, la série parcourt trente ans d’histoire adoptant tour à tour le point de vue de Christine, une victime, d’un policier local, d’une maire communiste, d’une chercheuse et géomatique, d’une juge et du prédateur.
- À l’occasion de la diffusion de la série, Jean-Xavier de Lestrade explique pourquoi cette histoire dépasse le simple fait divers.
Comment le « violeur de la Sambre » a-t-il pu agresser des dizaines de femmes pendant plus de trente ans sans se faire arrêter ? La série Sambre, du nom de la rivière franco-belge qui a été le théâtre d’une cinquantaine de viols entre les années 1980 et 2018, revient sur cette affaire criminelle hors norme. Coécrite par Alice Géraud, autrice du livre d’enquête éponyme, Marc Herpoux et Jean-Xavier de Lestrade, également à la réalisation, cette fiction tente de comprendre comment le plus grand prédateur sexuel de l’histoire de France a réussi à sévir autant de temps sous les yeux de la police locale.
À l’occasion de sa diffusion ce lundi sur France 2, Jean-Xavier de Lestrade revient sur ce fait divers qui en dit long sur la façon dont nos sociétés considèrent les victimes sexuelles.
Vous avez dédié votre œuvre aux crimes, qu’est-ce qui vous attire tant dans ces histoires ?
Certains faits divers sont des révélateurs extraordinaires de ce que nous sommes en tant que société. Ce n’est pas tous les crimes ni tous les faits divers. Laëtitia [Perrais, assassinée en 2011] et Sambre dépassent largement le cadre du fait divers. Ce sont des faits de société. L’histoire de la Sambre permettait de raconter trente ans de non prise en charge de victimes de violences sexuelles. Trente ans de traitement accessoirisé de la délinquance sexuelle. C’est surtout pour ce qu’il révèle de nous qu’il me passionne.
Qu’est-ce qui en fait un fait de société ?
L’histoire très singulière de Laëtitia me permettait de révéler la manière dont une société prend en charge les plus démunis ou les plus faibles. Que ce soit les enfants et les femmes, dans certaines conditions. Comment protège-t-on, finalement, les personnes qui sont maltraitées ? Sambre pose la question : qu’est-ce qu’on fait de la criminalité sexuelle ? Est-ce une priorité ? Quand on regarde le parcours du prédateur, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a un endroit dans la société qui dit : ce n’est pas si grave, on laisse faire. C’est ce que nous raconte cette histoire.
Quand on regarde le parcours du prédateur, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a un endroit dans la société qui dit : ce n’est pas si grave, on laisse faire »
Il est vrai que les policiers dans « Sambre » ne sont pas des lumières, les experts psychologues se plantent aussi complètement…
Ce n’est pas simplement une histoire de dysfonctionnement de la police ou de la justice. C’est pour ça qu’on a choisi cette structure où on change de point de vue dans tous les épisodes. A chaque fois, on se retrouve à un autre endroit de la société. A ce moment-là, au niveau des études psychiatriques, on imagine que le prédateur sexuel est une personne en marge, asociale. Pourtant, on est en 2007. Si on regarde les faits, si on regarde dans les yeux cette délinquance, on sait qu’il s’agit de gens que tout le monde connaît. Ce sont des gens parfaitement intégrées, qui ont une profession, qui sont sous nos yeux. Si ça avait été quelqu’un à la marge de la société, je ne me serais pas intéressé à l’histoire, je ne l’aurais pas trouvée suffisamment symptomatique de ce phénomène. C’est ce qui était passionnant. C’est quelqu’un d’intégré, avec un réseau social très fort, qui ne se cache pas. Sa famille est une victime collatérale. Tout le monde est complètement dupé.
Comment expliquer qu’on a très peu entendu parler de cette histoire ?
Quand le procès s’ouvre en juin 2022, on retrouve quelques lignes dans quelques journaux et c’est tout. Alors que le plus grand prédateur sexuel est sur le banc des accusés. On a quand même 56 femmes dont la vie est brisée, c’est colossal. Personnellement, j’ai entendu parler de cette histoire parce qu’Alice Géraud, une ancienne journaliste de Libération, a fait une enquête sur le sujet pour son livre, Sambre [J.C. Lattès], sorti en janvier dernier. Pendant son enquête journalistique, elle a accumulé tellement de détails qu’elle a voulu passer par la fiction. Avec la fiction, on peut prendre un peu de distance. Elle permet d’accéder à une certaine forme d’intimité. Son bouquin raconte exactement ce qu’il s’est passé. Par exemple, le personnage de Christine [interprétée par Alix Poisson], ce n’est pas une victime en particulier, c’est le portrait de quatre ou cinq victimes en même temps. On ne voulait pas que l’une d’entre elles se sente trop stigmatisée ou trop mise en avant.
Qu’avez-vous gardé de la réalité ?
Il y a des centaines de détails tirés du réel, à commencer par les pantoufles du capitaine. Quand Bernard s’éloigne après avoir accueilli Jean-Pierre, la nouvelle recrue, la caméra s’attarde et on voit qu’il porte des charentaises. C’est un détail, mais ce sont des choses qu’on n’invente pas. Le capitaine, à 7 heures du matin, recevait les nouvelles recrues en charentaise, c’était l’état de la police dans les années 1980. La scène où Enzo [le nom de Dino Scala dans la série] blague devant son propre portrait-robot avec les policiers, on ne pouvait pas l’inventer. Tout dans l’épisode 3, il est reçu au commissariat et la police doit prendre son ADN. Il profite d’un moment seul pour filer. L’ADN ne sera jamais pris. Si la police l’avait pris à ce moment-là, combien de victimes lui auraient échappé ?
Même quand on est dans la fiction et qu’on s’intéresse au réel, c’est quand même un vrai engagement »
Quelle est la part romancée de « Sambre » ?
Christine est à la fois toutes les victimes et aucune victime. Une des victimes habitait dans la même rue que Dino Scala, on a pensé que leurs enfants avaient probablement été scolarisés dans la même école. L’amitié entre la fille de Christine et la fille d’Enzo, le prédateur, est sans doute la chose la plus fictionnalisée de la série. Quand Christine arrive chez le prédateur et qu’elle assiste à un anniversaire en famille, elle entre dans une vie normale, joyeuse. Elle est confrontée à tout ce qu’elle a raté dans sa vie. C’était tentant et puissant. Et on n’est pas loin de la vérité. En une scène, la fiction permet de raconter beaucoup de choses sans pour autant trahir le réel. Une des victimes était dans la même rue, elle l’a forcément croisé en faisant les courses, à l’épicerie, dans la vie quotidienne. On a juste poussé un peu l’idée.
Qu’est-ce qui fait la télégénie d’une affaire criminelle ?
Parfois, vous avez des criminels qui sortent très fort du cadre. Francis Heaulme, Michel Fourniret… Il y a une fascination pour la figure du mal. Je ne trouve pas que ce soit l’endroit le plus intéressant parce qu’on raconte des cas particuliers. Quand le fait divers raconte autre chose que le fait divers, il prend une dimension télégénique, il faut le raconter. Ce n’est pas innocent de s’emparer d’un fait divers, de le fictionnaliser, c’est quand même la vie des gens. C’est une sacrée responsabilité. Il faut être sûr de donner un supplément de sens à l’histoire.
Quelle affaire vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Sans doute, l’histoire de The Staircase (Soupçons). J’ai commencé à filmer en 2002 et on a fini en 2017. J’ai créé des liens avec toute la famille Peterson pendant plus de quinze ans. Il y a eu trois séries documentaires. Cette histoire ne m’a jamais quitté pendant quinze ans. Forcément, ça impacte. En travaillant sur Laëtitia, en rencontrant la famille de Laëtitia Perrais, en restant proche d’une partie de sa famille, on ne tourne pas la page comme ça. Même quand on est dans la fiction et qu’on s’intéresse au réel, c’est quand même un vrai engagement.
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