Et si on choisissait une nouvelle Marianne ?

Qui pourrait-elle être ? Une audacieuse qui a fait de sa vie une lutte pour l’égalité, une rescapée au parcours valeureux, une femme de pouvoir assumée, une défenseuse de l’environnement, une sportive de haut niveau ? Les voici.

Une femme aux jolis traits, célèbre : voici les seuls critères qui, de Brigitte Bardot à Inès de la Fressange, ont jusqu’ici guidé le choix des modèles pour les Marianne de la République. À Marie Claire, en collaboration avec l’agence DDB, nous avons décidé de repenser ce symbole fort et historique en proposant des femmes incarnant des valeurs d’accomplissement. Des femmes définies par leur parcours, leurs engagements et leurs combats citoyens. Notre choix s’est porté sur cinq personnalités : Aurélie Dupont, Ginette Kolinka, Martine Monteil, Sarah Ourahmoune et Marie Tabarly, dont la détermination et l’exemplarité nous inspirent.

Marianne, l’allégorie de la mère nourricière, la libératrice du peuple

C’est un rituel auquel elle tient. À chaque cérémonie, dans sa mairie du 20e arrondissement de Paris, la maire Frédérique Calandra accueille les nouveaux naturalisés dans la grande salle des fêtes. Et leur montre le buste de Marianne. « Je leur explique alors ce que signifie devenir français et je leur raconte que cette femme fière a le sein nu et que ça n’a rien d’impudique, car c’est à la fois l’allégorie de la mère nourricière et la libératrice du peuple, qui offre sa poitrine aux balles des soldats en prenant tous les risques pour défendre la liberté. » La maire du 20e rappelle les valeurs représentées par Marianne : « La liberté, l’égalité, la fraternité, mais aussi la laïcité, la liberté de croire ou de ne pas croire sans imposer ses croyances aux autres, et l’égalité entre les femmes et les hommes. Devenir français, ce n’est pas juste devenir l’habitant d’un territoire, c’est adhérer à cet ensemble de valeurs sacrées au sens républicain du terme. Parfois, je vois passer dans certains regards un voile d’interrogation. C’est compliqué vu les pays d’où ils viennent, mais j’insiste. »

En 2020, les 35 000 communes françaises vont élire leurs maires qui poseront fièrement avec leur écharpe tricolore, certains devant le buste de Marianne. Mais contrairement à ce que l’on croit souvent, ce ne sont pas eux qui l’élisent. Seule exception, Laetitia Casta à l’occasion de l’an 2000. Une opération ponctuelle, à l’initiative de l’association des maires de France (AMF). Quatre autres personnalités avaient alors aussi été proposées aux édiles, Estelle Lefébure, Patricia Kaas, Daniela Lumbroso et Nathalie Simon. Toutes « choisies pour leur jeunesse et leur dynamisme, elles incarnent chacune des sensibilités différentes », selon le communiqué.

Laetitia Casta avait été élue à 43,5 %. Depuis aucun autre buste n’aura été commandé par l’AMF. « Il n’y a même jamais eu de buste officiel de la République, insiste Aurore Mouysset, directrice de cabinet de François Baroin, président de l’AMF. N’importe quel sculpteur est libre de représenter Marianne à sa façon, et chaque maire est libre de choisir (ou pas) son buste. Rien d’ailleurs n’oblige les maires à avoir Marianne dans leur mairie, c’est une tradition. » Si aucune loi n’impose un modèle officiel, il n’en est pas de même pour les Marianne de nos timbres. En effet, à l’origine, ces Marianne postales sont une reproduction du sceau de l’État utilisé pour des actes importants du président de la République ou du Premier ministre. À chaque président son timbre, et Emmanuel Macron a donc le sien. Une Marianne signée par la street artiste Yseult Digan.

Une figure anonyme jusqu’en 1969

Mais que savons-nous de Marianne ? D’où vient-elle ? C’est lors de la Révolution française, sous les Girondins de la Convention, qu’elle a surgi comme symbole de la liberté puis de la République. Drapée à l’antique et coiffée du bonnet phrygien (attribut des esclaves affranchis dans l’Antiquité). On ne sait pas qui a eu l’idée d’appeler la République Marianne. Selon l’historien Maurice Agulhon, ce prénom populaire dans les campagnes a d’abord été utilisé par dérision par les ennemis de la jeune République. « C’était une façon de dire : voilà, maintenant, c’est une “bonne femme”, pour ne pas dire une paysanne, qui gouverne. » (1) Sous Napoléon III, les républicains des sociétés secrètes s’approprient le prénom moqué pour faire allusion à la République entre eux, avant que toute la nation n’adopte progressivement Marianne.

À partir de 1870, sous la Troisième République puis l’arrivée des républicains au gouvernement, Marianne trône donc dans les mairies, les écoles et les bâtiments publics. Mais pour l’historienne Mathilde Larrère(2) , dès le début, deux Républiques, donc deux Marianne, ont toujours coexisté : « La “République bourgeoise”, libérale, représentée par la Marianne sage, couronne de laurier, cheveux attachés, buste couvert, sagement assise, désarmée. Et la Sociale, la Marianne à bonnet phrygien, cheveux détachés, poitrine découverte, guerrière, combattante. » Issue de la Révolution française, Marianne aura été utilisée à des fins de propagande par toutes les idéologies, y compris l’extrême droite. « Parmi les symboles idéologiques repris par le maréchal Pétain sous l’Occupation, explique la philosophe Marylin Maeso(3) , il y avait cette image de lui en père qui guide, et Marianne en mère nourricière s’occupant de ses enfants. » Une Marianne encore anonyme, jusqu’en 1969.

C’était une façon de dire : voilà, maintenant, c’est une “bonne femme”, pour ne pas dire une paysanne, qui gouverne.

Des stars pour Marianne

Marianne est incarnée pour la première fois par un visage connu, celui de Brigitte Bardot, sur proposition du général de Gaulle. Elle sera suivie, entre autres, de Catherine Deneuve en 1985, à l’initiative du journaliste et collectionneur Pierre Bonte. Puis d’Inès de la Fressange, qui vient alors de signer chez Chanel. A l’époque, Karl Lagerfeld s’y oppose. « Je ne veux pas habiller un monument, c’est trop vulgaire ! » dit-il. Inès de la Fressange refuse d’y renoncer. Son contrat est cassé après une bataille judiciaire. Après elle, Sophie Marceau, et même l’animatrice Évelyne Thomas en 2003 (élue par le comité des Marianne d’Or, indépendant de l’AMF), ont leur buste. Une starisation qui ne fait pas l’unanimité. « Où sont les valeurs de la République quand Marianne est une star ? argumente Mathilde Larrère. Sa pipolisation la dépolitise. » Pour Marylin Maeso, c’est même réducteur : « On ne les a pas choisies pour leurs idées mais parce qu’elles étaient célèbres et pour leur plastique : elles incarnaient l’éternel féminin. » Saly Diop(4) , adjointe au maire déléguée à la jeunesse à Meaux, raconte : « Il y a un buste de Marianne, anonyme, dans notre salle des mariages. Elle est une source d’inspiration qui me rappelle le chemin accompli pour les droits des femmes et le mien, aussi, en tant qu’élue issue de la diversité.

“[Jusqu’ici] on ne les a pas choisies pour leurs idées mais pour leur plastique et parce qu’elles étaient célèbres.”

Une seule femme ne peut pas incarner notre république multiculturelle. » Des Marianne noires, il en existe. « J’en ai trouvé une dans les réserves de la mairie, raconte Frédérique Calandra. Une esclave libérée, elle a le bonnet phrygien et l’anneau des esclaves à l’oreille. » Elle trône désormais dans son bureau.

À Marie Claire, le combat pour l’égalité femme-homme a toujours été la pierre angulaire de notre engagement. Lancer cette nouvelle campagne avec l’agence DDB, choisir cinq nouvelles Marianne qui incarnent une femme maîtresse de son accomplissement, une femme à l’exemplarité inspirante, c’est permettre une nouvelle fois d’interroger les stéréotypes. Notre choix s’est porté sur des femmes vivantes. Ginette Kolinka, qui depuis des décennies affronte l’antisémitisme. Sarah Ourahmoune, qui se bat pour la conquête de bastions masculins dans le sport. Marie Tabarly, qui lutte pour défendre l’environnement. Aurélie Dupont et Martine Monteil, qui symbolisent l’accession à de hautes responsabilités. Plusieurs mairies ont déjà approuvé nos choix, dont Philippe Saurel, maire de Montpellier : « La Marianne d’aujourd’hui, femme du peuple, pourquoi pas tatouée et piercée? En tout cas pas une star canon de beauté. » Et aussi les maires de Nice (Christian Estrosi), Strasbourg (Roland Ries), Toulouse (Jean-Luc Moudenc), Taverny (Florence Portelli), Vincennes (Charlotte Libert-Albanel), Montauban (Brigitte Barèges), Oradour-sur-Glane (Philippe Lacroix)…

1. « Les aventures de Marianne », L’Histoire n° 11, avril 1979. 2. Coauteure avec Aude Lorriaux de Des intrus en politique. Femmes et minorités : dominations et résistances, éd. du Détour. 3. Auteure de Les conspirateurs du silence, éd. de L’Observatoire. 4. Auteure de Imani, éd. Michalon, à paraître en avril 2020.

À l’âge de 18 ans, elle a été l’une des premières à dénoncer les violences morales des professeurs de danse. À 25 ans, elle est devenue danseuse étoile avant de se blesser puis de se relever. Elle a dansé avec les plus grands chorégraphes. Elle est aujourd’hui directrice de la danse du ballet de l’Opéra national de Paris* et s’efforce de faire évoluer les mentalités dans ce milieu très fermé.

« Avant, on représentait Marianne de façon très moulée et souvent en mettant en valeur sa poitrine. Mais les codes de la beauté ont évolué. Liberté, égalité, fraternité sont trois mots forts qui évidemment m’inspirent et qui devraient inspirer tous les Français. En particulier l’égalité, car je suis une femme directrice et que je suis pour l’égalité femme-homme.

La liberté, parce que j’ai toujours été libre de mes choix, libre artistiquement et libre en tant que femme. Quand vous m’avez proposé de devenir l’une de vos Marianne, j’ai pensé à ma mère. Il y a quelque chose d’émouvant quand ta fille est choisie pour représenter la République française. Une sorte de fierté, tout simplement. Mais je ne lui ai pas dit encore, ce sera une surprise. Le fait de porter ce bonnet phrygien pour l’ébauche du buste, c’est un peu comme un costume de scène, on se sent prête. En le voyant sur ma tête, j’ai eu le sentiment d’avoir une posture de femme qui défend les valeurs de la République et ce que cela peut comporter comme poids. Cela m’a fait quelque chose. S’il devait y avoir une Marianne, pour moi ? J’aurais choisi ma grand-mère, elle était magnifique.

Simone. Elle ne travaillait pas, c’était la femme d’un médecin. Elle avait beaucoup d’allure, drôle. Elle était libre. »

Sur Pen Duick VI, le bateau sur lequel son père Éric Tabarly remporta la Transat anglaise en 1976, la navigatrice Marie Tabarly, vainqueur de la Giraglia offshore Race 2016, mais aussi écuyère et éthologue, pilote Elemen’Terre*. Une « grande résidence itinérante autour du monde » en quatre ans qui embarque artistes, sportifs, spationautes … Pour réfléchir aux défis de l’humanité.

« C’est fondamental et impressionnant, la République. Liberté, égalité, fraternité… Ce sont nos piliers, nos fondations. Si on perd ces valeurs-là, on est foutu. Avec mon “think tank flottant”, le projet Elemen’Terre, nous y avons associé les trois piliers du développement durable : le social, l’environnemental et l’économique. Pour que tout le monde ait droit à un futur vivable, équitable et pérenne. Pour moi, il n’y a pas de valeurs plus importantes les unes que d’autres (mais je serais heureuse d’en discuter avec de grands philosophes). Supprimer la fraternité mais dire “Vous êtes tous libres !”, ça n’a pas de sens, parce que tout est lié. Ainsi, je suis quelqu’un d’extrêmement libre, mais je me plie à certaines règles. C’est la même chose dans le développement durable. Nous faisons partie d’un tout. Un exemple simple : nous sommes composés à 70 % d’eau. Comme la planète, 70 % d’océans. C’est pourquoi je vois Marianne comme la terre nourricière incarnée, notre terre mère, et aussi la puissance, la force, le courage, l’indépendance, le féminin sacré. Ma Marianne républicaine idéale ? Un mélange de Simone Veil, Marie Curie et Florence Arthaud. »

(*) elementerre.earth

Survivante du camp d’Auschwitz-Birkenau, Ginette Kolinka se rend dans les écoles depuis près de vingt ans pour témoigner de l’antisémitisme et la déportation. Elle s’est racontée dans « Retour à Birkenau »*.

« Quand Marie Claire m’a proposé d’incarner Marianne, je me suis d’abord dit : “Avoir mon buste trônant dans des salles de mariage et des cérémonies officielles, à 94 ans, ha, ha, ha ! N’est-ce pas un peu ridicule ?” Et puis en quoi est-ce que je mérite d’être distinguée alors que depuis Auschwitz, je suis une personne ordinaire, une commerçante qui faisait les marchés à Aubervilliers ? Ah, c’est parce que je me rends dans les écoles pour montrer où mène la haine, l’antisémitisme… Parce que j’emmène encore des classes en Pologne visiter Auschwitz… Bon, si vous voulez ! Je ne suis pas une intellectuelle. Mais au fond, incarner Marianne, pourquoi pas ?

Cela m’amuse parce que je ne me prends pas au sérieux. J’ai d’ailleurs aussitôt appelé mon fils (Richard Kolinka, le batteur de Téléphone et des Insus, ndlr) pour lui dire que bientôt, il verra peut-être le buste de sa mère dans les mairies. Quand je pense à Marianne, je pense au respect qu’elle inspire.

Liberté, égalité, fraternité… Pour que ces mots sonnent vrais, il faudrait qu’on s’accepte tous tels qu’on est, qu’on ne s’occupe pas de la religion ni de la couleur de la peau des autres. Ma Marianne à moi ? Simone. J’étais dans le même convoi pour Auschwitz-Birkenau que Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens. Elles m’ont lâchée, les copines. Elles sont parties avant moi… »

(*) Coécrit avec Marion Ruggieri, éd. Grasset.

Vice-championne olympique de boxe aux Jeux de Rio, championne du monde en 2008, triple championne de l’Union européenne, cheffe d’entreprise, Sarah Ourahmoune* continue à défendre ses valeurs féministes dans le milieu de la boxe.

« Marianne, pour moi, c’est vraiment le visage de la France. Les Marianne de Marie Claire montrent cette France multiple où coexistent différentes cultures, couleurs… Et je suis très flattée et très honorée d’y participer. Les valeurs de la République qui me sont chères avant tout ? La liberté.

Et l’égalité, au premier chef, entre les femmes et les hommes dans le sport, bien sûr. Les femmes n’ont toujours pas leur place dans les instances dirigeantes. Alors que sur le terrain, les choses évoluent, on l’a vu avec l’engouement pour le foot féminin lors de la coupe du monde. Et ça fait du bien, parce qu’après, des milliers de petites filles vont s’inscrire dans les clubs de foot. Les valeurs de la République sont censées recouper les valeurs du sport. Malheureusement, dans le sport de haut niveau, ce n’est pas toujours le cas.

Aujourd’hui, j’essaie de promouvoir un sport loisir, plaisir, dans lequel je retrouve des valeurs de fraternité, de solidarité, d’exemplarité. Quand on a une médaille autour du cou, on se doit de porter ces valeurs au plus haut et de montrer l’exemple. Ma Marianne à moi ? Simone Veil. Elle représente tellement pour les femmes. »

(*) Auteure de Mes combats de femmes, avec Gaëlle Bantegnie, éd. Robert Laffont.

Première femme à diriger les plus grandes brigades centrales parisiennes, dont la criminelle, Martine Monteil a aussi été la première à diriger la direction centrale de la police judiciaire. Elle a résolu de nombreuses affaires, de Madame Claude à Guy Georges, et continue de porter la parole pour lutter en faveur de l’égalité femme-homme.

« La proposition de devenir une Marianne de la République est quelque chose qu’on ne peut refuser, enfin moi qui ai consacré ma vie à la République, je suis très honorée. La devise liberté-égalité-fraternité résume bien les valeurs de la République. Mais pour moi, la loyauté est avant tout une valeur essentielle. Elle a beaucoup compté dans l’exercice de ma profession. Aujourd’hui, il y a une trop grande part de triche.

Marianne représente la République, mais aussi la citoyenne française. Et la citoyenne française est diverse, ce n’est pas seulement une star. Bien sûr, les stars nous ont très bien représentées longtemps, mais il est possible de mettre en avant d’autres valeurs. Notamment le combat des femmes. Il a toujours fallu prouver quelque chose. Cela ne fait pas si longtemps que l’on vote… On essaie donc de rendre hommage à ces femmes qui ont été les pionnières dans des domaines difficiles. Qui pour incarner Marianne ? Je pense au courage, à cette jeune pompière qui était sur les toits de Notre-Dame et qui a risqué sa vie pour sauver ce monument du patrimoine. »

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