RECIT – Charlotte Gainsbourg : la visite de la Maison Gainsbourg

La Maison Gainsbourg, où vécut l’artiste, vient d’ouvrir ses portes rue de Verneuil dans le 7e arrondissement de Paris. Nous avons pu la visiter en avant-première. Un moment d’émotion, guidé par la voix de sa fille Charlotte.

D’abord, il y a le bruit des clefs dans la serrure de la porte, à droite, juste après la grille visible depuis la rue. Hautement symbolique. Deux jours avant sa mort, le 2 mars 1991, Serge Gainsbourg avait noté dans son petit carnet : « Donner les clefs à Charlotte« . Trente-deux ans plus tard, Charlotte Gainsbourg, 52 ans, en a fait bon usage. Elle a tout gardé, protégé, préservé de cette maison. Une bâtisse de 130 mètres carrés, construite sur deux étages, aux pièces étroites et aux plafonds bas, dénichée par Joseph, le père du chanteur. C’est Charlotte, enfin plutôt sa voix, diffusée dans un casque audio à géolocalisation fourni à l’entrée, qui nous accueille au seuil de la maison. On se sent pris d’un vertige. Les décennies défilent. 13 septembre 2023, 2020, 2010, 2000, 1990, 1980, fin des années 60… Juste derrière la porte, sans vestibule, sans trait d’union pour s’habituer à l’idée, on se retrouve de plain-pied dans le living-room de « l’homme à la tête de chou« . On est saisi par la solennité de l’instant, par le privilège de découvrir cette pièce où pieds nus, dans son jean élimé aux chevilles, il accueillait amis et artistes, et, la nuit, des chauffeurs de taxi et des policiers. On n’a pas assez de cinq sens pour capter tout ce qui se joue devant nous. Il flotte dans l’air une odeur boisée, miellée. Désorienté, on reprend pied au son du récit de Charlotte Gainsbourg. Ses souvenirs de petite fille éveillent un à un les objets qui décorent cette pièce aux faux-airs de caverne d’Ali Baba.

Un demi-queue, un piano droit sur lequel elle a appris à jouer, le téléphone avec ses touches préenregistrées : Lulu 1, Lulu 2 (le dernier fils de Serge), des mégots de Gitane dans un cendrier, et le bien le plus précieux de tout ce qu’elle possède de son père, son attaché-case. Cette mallette, qui était remplie de billets de 500 francs, est posée à côté du canapé dont l’assise fatiguée a gardé en mémoire la place où l’artiste avait l’habitude de s’asseoir. Puis la voix de Charlotte nous invite à quitter la pièce… Au fond à gauche, il y a la cuisine. Petite, dans son jus, les pots d’épices sur les étagères, les grands crus conservés par le maître des lieux en souvenirs d’événements importants, le réfrigérateur avec sa porte transparente, qui devait toujours rester parfaitement rangé. Charlotte nous y raconte les tête-à-tête silencieux avec son père, le poste de télévision toujours allumé, les repas pris avec Kate devant les prestations télévisées de Serge. Au fond de la pièce, une porte permettait aux filles d’accéder à leur chambre. Une volée de marches et nous voilà au premier étage, exigu aussi, aux murs drapés de noir. Un couloir en L dessert un placard vitré abritant les vêtements de Gainsbourg.

Très peu de pièces, finalement. « Papa n’avait que deux chemises, quatre tee-shirts, deux jeans. C’est tout ! » Ici, la salle de bains en boiseries avec son lustre à pampilles, qu’avec les années, la petite Charlotte parvenait à atteindre ; les produits de beauté et autres flacons de parfum déposés ça et là ; le bidet dissimulé derrière la porte où Serge Gainsbourg faisait ses ablutions et une grande baignoire, terrain de jeux de Jane et de ses filles. Magie de la technologie, la bande-son originale créée par Soundwalk Collective, composée d’un fonds d’archives sonores inédites, diffuse leurs rires dans notre casque. On a presque l’impression de sentir les effluves du talc italien avec lequel la Britannique Jane Birkin poudrait ses petites Kate et Charlotte. Autre ambiance, plus étrange, en face : la chambre des poupées, ainsi nommée après que Jane Birkin eut claqué la porte à l’issue de douze ans d’amour fou. Avant c’était son endroit, où elle entreposait son univers joyeux et désordonné. Aujourd’hui, les poupées collectionnées par le musicien y sont alignées… Charlotte et son père, qui n’avaient pas les mêmes horaires – Serge Gainsbourg ayant pour habitude de se lever tard –, avaient instauré une règle pour jouer malgré tout ensemble aux jeux Atari. L’un continuait la partie tandis que l’autre dormait. Au bout du couloir, la chambre, chasse gardée des parents. Seule Kate osait s’y aventurer, la nuit, pour les prévenir quand Charlotte, petite, faisait des cauchemars. C’est là que Serge Gainsbourg s’est éteint, de son côté du lit. Charlotte se souvient dans nos écouteurs du tourbillon qui s’ensuivra. De Kate, Bambou, leur belle-mère, et elle couchées auprès de la dépouille tandis que leur parvenait, depuis la rue, la chanson Je suis venu te dire que je m’en vais entonnée par des fans éplorés. Des mots énoncés avec simplicité, retenue, la mémoire toujours vive d’une toute jeune fille orpheline de père, qui vous arrachent des larmes.

A l’autre bout du couloir en L, le bureau où Serge Gainsbourg écrivait, sa machine électrique, sa bibliothèque très étudiée. Un puits de culture où Charlotte venait consolider la base de son érudition. La visite s’achève. Impossible de se souvenir de ses derniers mots tant on est submergé d’émotions, percuté par la puissance du témoignage. De l’autre côté de la rue, au 14, la vie et l’œuvre de Serge Gainsbourg se racontent autrement, dans un lieu hybride, à la fois musée, piano-bar et bibliothèque-librairie-disquaire, dont les codes visuels font écho avec la maison historique. On y découvre notamment, au rez-de-chaussée, la collection permanente composée de 450 objets, bijoux et documents originaux sur les 25 000 que recèle la Maison Gainsbourg. Ces pièces exposées chronologiquement de la naissance à la disparition de l’artiste sont doublées d’un parcours vidéo où, sur huit écrans, on peut réécouter et revoir l’auteur du Poinçonneur des Lilas à travers des enregistrements audio, télévisés, radiophoniques… dont certains inédits. Quel trésor ! Quel présent fait au public ! Cette Maison Gainsbourg reste surtout une sublime déclaration d’amour d’une fille à son père. Signée Charlotte for Ever.

Cet article est à retrouver dans Gala N°1580 disponible dans les kiosques ce jeudi 21 septembre 2023.

Crédits photos : PacificPressAgency / Bestimage

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