Le chanteur s’est installé en Angleterre pour vivre tranquille et, comme tous les Français de la capitale, le Brexit le plonge dans l’incertitude.
Un quartier résidentiel dans l’ouest du Grand Londres, un endroit tranquille où toutes les maisons se ressemblent, murs à colombages et cheminées de brique rouge. Un pub et un restaurant indien au coin de la rue, des écoliers en uniforme, des rosiers, des écureuils… et Jean-Jacques Goldman, en jogging, qui salue ses voisins au supermarché. Le plus populaire des Français, l’un de nos artistes les plus fortunés, a pris sa retraite à Wembley, une banlieue de la classe moyenne anglaise. Ici, personne ne sait qu’il a vendu 28 millions de disques et que, aujourd’hui encore, ses chansons passent environ soixante-dix fois par jour à la radio. Généreuse, la perfide Albion offre au chanteur une vie loin du show-business. Lui, dont le père avait coutume de dire : « Il faut faire attention à ne pas trop se montrer, à ne pas trop se mettre en avant », a connu trente ans de carrière au sommet. Il a expliqué : « Mon statut de chanteur vedette allait à l’encontre de mon éducation, mes parents n’avaient qu’un seul souci, faire de nous des enfants comme les autres. » Voilà le projet de Jean-Jacques pour ses petites dernières, Maya, Kimi et Rose, dont il s’occupe avec leur mère, Nathalie, docteure en mathématiques et professeure, qu’il a épousée en 2001. Tous les après-midi, il est à la maison lorsqu’elles rentrent des cours et il n’hésite pas à participer aux ateliers extrascolaires du lycée international où les adolescentes sont inscrites.
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En Angleterre, elles sont les filles d’un père au foyer, un retraité sportif qui lit « L’Equipe » et roule, à gauche certes, mais en Renault Espace. Six mois avant leur emménagement, les Anglais ont voté en faveur d’une sortie de l’Union européenne. Une perspective qui, depuis, inquiète tous les Européens installés outre-Manche, et notamment les Français. Ils sont 150 000 résidants au Royaume-Uni inscrits sur les registres du consulat général de France, mais il est le seul à poser pour des « selfies » avec le personnel. Selon le Consulat général de France, il s’y rend régulièrement pour entreprendre les démarches administratives nécessaires à son quotidien d’expatrié et n’hésite pas à emprunter le métro. Il peut aussi s’y faire expliquer les modalités du « settled status », le « statut des installés » : quels seront leurs droits au lendemain du Brexit ? Accès à la santé, à l’éducation, aux prestations sociales… Jusqu’à maintenant, ils ne sont que 40 000 à l’avoir demandé. « Pour obtenir ce statut, il faut prouver, avec de nombreux documents, que l’on vit au Royaume-Uni », explique le député des Français d’Europe du Nord, Alexandre Holroyd, sans cesse interrogé par des expatriés inquiets. « Ils perçoivent que l’Etat anglais est déterminé à être plus intransigeant avec les étrangers, c’est palpable. » Cette hostilité anti-Européens s’est traduite par une augmentation de plus de 10 % des agressions racistes depuis le référendum, d’après une enquête du « Guardian ». Aucun départ massif vers la France n’est constaté par le consulat, mais l’administration enregistre une hausse importante des demandes d’accès à la nationalité française de la part de Britanniques, souvent mariés à des Français. « Il y a un vrai changement dans les relations sociales, explique une Française de Londres. On ne peut pas éviter le sujet. Les discussions sont tendues, même entre amis. On découvre sans cesse des gens qui ont voté pour le Brexit. Il y a des embrouilles dans chaque famille… »
« Qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps d’avoir à choisir un camp », chantait Goldman en 1990. Aujourd’hui, les tensions politiques qui divisent son pays d’adoption ne le laissent pas indifférent. « Il m’en a parlé, confie Michael Jones, son ami chanteur et guitariste franco-gallois, avec qui il est souvent monté sur scène. Il s’inquiète des conséquences du Brexit, comme nous tous, mais ça ne change rien à son existence. Son séjour britannique ne durera pas plus longtemps que la scolarité de ses filles. » A Londres, le chanteur est locataire ; c’est en France, à Marseille, qu’il est propriétaire, et c’est là qu’il revient pour les vacances scolaires. C’est également en France que vivent ses trois aînés, Michael, Nina et Caroline, à qui il rend visite. En attendant son retour définitif, Jean-Jacques court régulièrement, silhouette longiligne et musclée sur les trottoirs de sa nouvelle vie. « Il n’a aucune activité professionnelle, nous explique Alexis Grosbois, ami proche et ancien collaborateur. Et aucun projet musical… »
Comme d’autres musiciens de sa génération, Etienne Daho, Julien Clerc ou Laurent Voulzy, Jean-Jacques Goldman a rejoint le pays des Beatles en 2016, à la poursuite des ambitions rock’n’roll de sa jeunesse. Le Montrouge des années 1960 où il a grandi n’avait rien du Swinging London… A l’époque, Jean-Jacques anime des bals populaires et vend le 45-tours de son groupe de gospel à la sortie de la messe. Il chante et joue de la guitare, et, comme Paul McCartney, qu’il admire, voudrait en faire son métier, mais sans y croire.
Quand sort son premier tube, « Il suffira d’un signe », en 1981, il continue de vendre des chaussures dans le magasin Sport 2000 de ses parents. Et les critiques ne l’épargnent pas. « L’Evénement du jeudi » titre : « Jean-Jacques Goldman est vraiment nul » ; on le surnomme « le roi du tube gentillet » ou « le chanteur dadais ». Aujourd’hui, sa revanche est prise. Il a notamment signé l’album francophone le plus vendu de l’histoire de la musique, « D’eux », de Céline Dion. Goldman met en musique la vie des gens ordinaires, se fiche de celle des puissants, écrit des mélodies émouvantes, des airs entraînants, et a ainsi bâti une réussite extraordinaire. Il chante l’humilité et la tolérance, le courage, la fraternité, et veut conformer ses actes à ses paroles.
Sur son déménagement outre-Manche pèse un temps le soupçon d’un exil fiscal, vite balayé. L’auteur-compositeur-interprète paie ses impôts en France, où la Sacem lui verserait plus de 2 millions d’euros de droits d’auteur tous les ans. C’est à Montrouge, près de Paris, qu’est installé le siège de sa société de production, JRG, les initiales de Jean-Jacques et Robert Goldman, son frère cadet et associé. Sympathisant socialiste, fidèle à une certaine idée de l’anticapitalisme, favorable à la redistribution des richesses, Goldman s’est plusieurs fois déclaré contre la notion d’héritage. Impossible de savoir si aujourd’hui, père de six enfants, il garde la même conviction.
Un utilisateur français sur trois a « streamé » au moins une de ses chansons
A 68 ans, l’homme ne craint pas de changer d’avis. Il a enfin accepté de rendre disponible l’ensemble de sa discographie sur les plateformes de streaming musical. Comme Francis Cabrel et Taylor Swift, Jean-Jacques Goldman était un des derniers à s’y opposer, jugeant que ces services en ligne ne rémunéraient pas suffisamment les auteurs. Mais en trois ans, grâce au streaming, la consommation de musique en France a augmenté : + 12,7 % lors du premier semestre 2019, selon le Syndicat national de l’édition phonographique, soit 277 millions d’euros générés pour près de 5,5 millions d’abonnés payants à des sites tels Deezer ou Spotify. Une mutation qui a convaincu le chanteur et les équipes de son label, Epic/Sony Music. Non seulement « la musique est bonne », mais elle est désormais disponible sur Internet.
Et c’est un immense succès. Un utilisateur français sur trois a, depuis août, « streamé » au moins une de ses chansons, portant à 11 millions son nombre d’écoutes en deux semaines, rien que sur Spotify. Les auditeurs des pays francophones sont les plus demandeurs ; viennent ensuite ceux des Etats-Unis… et du Royaume-Uni. Sans avoir sorti de disque depuis 2001, Jean-Jacques reste dans les oreilles du public, des jeunes surtout, entre 18 et 44 ans. « Il garde une aura forte. Son luxe est d’avoir pu résister jusqu’à maintenant. Mais à son niveau de notoriété, ne pas être en streaming, c’est perdre de l’argent », explique Vincent Frerebeau, du label Tôt ou Tard.
A la fin de cet été, un autre événement se préparait dans l’existence si calme du chanteur : un retour sous les feux de l’actualité. Le 2 septembre, il a fait un passage à la télévision dans l’émission « Quotidien », présentée par Yann Barthès sur TMC. Un message enregistré à l’avance, filmé dans le jardin de sa villa marseillaise et relayé plus de 8 millions de fois sur Twitter. Une surprise pour les fans qui n’avaient pas vu leur idole depuis que, en 2013, pendant un spectacle des Enfoirés, il était monté sur scène à l’improviste. « Il leur a juste souhaité une bonne année parce qu’il trouve cette émission utile et courageuse », nous rapporte Alexis Grosbois. Cette apparition dans un programme politico-humoristique prouve que Goldman ne conserve pas seulement un lien fort avec la vie médiatique française, mais aussi un intérêt pour un journalisme qui penche à gauche. Depuis, silence radio. Mêmes Les Enfoirés préparent le spectacle sans lui. Il aura lieu en janvier, « mais, depuis 2016, il n’est plus impliqué », précise Anne Marcassus, directrice artistique de l’événement. Sur son île, c’est uniquement pour le bonheur de Nathalie et de leurs filles que Jean-Jacques Goldman gratte sa guitare. Brexit ou pas Brexit, rien ne le fera renoncer à ses habitudes. Jogging chaque matin… La contagion du flegme britannique.
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