INTERVIEW – Pierre Arditi : « Dans les coups durs, Évelyne est mon roc »

Victime d’un nouveau malaise, le comédien de 79 ans a retrouvé la scène avec gourmandise. A ses côtés, son épouse Evelyne Bouix nous dit ses joies et parfois ses craintes de vivre avec un homme qui ne s’ économise pas. Un entretien sensible et généreux. A leur image.

En ce samedi 9 décembre, Pierre Arditi va mieux. Beaucoup mieux. A la demande de ses médecins, il a renoncé à remonter sur scène dès le lendemain de son « léger malaise » survenu en pleine représentation de la pièce Lapin, mais la voix est énergique. Enjouée. De son domicile, il s’enquiert même des photos que nous allons choisir pour illustrer notre entretien. Une interview à deux voix avec son épouse, la comédienne Evelyne Bouix, que nous avons réalisée la veille, quelques heures avant ce « fameux » nouveau malaise… finalement sans conséquence. Evelyne qui tourne en Bretagne, avec Jérémy Banster, un épisode des Secrets du Finistère, pour France 3, est désormais rassurée. Mais veille sur son « amoureux » comme le lait sur le feu. Pas toujours facile de suivre l’animal…

GALA : Vous voilà à nouveau sur scène, la vie a donc repris le dessus !
PIERRE ARDITI : Oui, la vie a repris le dessus. Bon, je me serais volontiers passé de cet épisode. Si on écoutait les médias, j’étais mort ! Or, il me fallait juste du repos et réévaluer mon traitement. Il faut que j’accepte de ne plus être un perdreau de l’année et de lever un peu le pied. Mais il est hors de question que j’arrête mon métier. Personne ne m’oblige à travailler comme ça. Seul le désir m’anime.

GALA : Vous dites d’ailleurs : « Jouer, c’est ma vie, si on me disait que je ne pouvais plus faire ça, je mourrais tout de suite. » Cela doit être extrêmement angoissant pour vous Evelyne !
E. B. : C’est son moteur, sa drogue, son ADN. On n’est pas tout à fait dans la même dynamique, lui et moi. Et pourtant, nous sommes tous les deux comédiens. Moi, j’ai une passion pour les tournages, les petits matins, le froid. Pierre travaille beaucoup plus que moi. Il ne pourrait pas se passer du théâtre. C’est très fatigant, c’est un stress énorme mais c’est ainsi.

GALA : Pierre, ce métier vous a-t-il permis d’être au plus près de vous au moins ?
P. A. : Michel Bouquet disait qu’il existe deux catégories d’acteurs. Certains le font pour se fuir et fuir la réalité. D’autres pour se trouver. J’appartiens à la seconde, Michel Bouquet à la première : j’exerce mon métier depuis presque soixante ans. Petit à petit, je m’approche de moi-même. Je n’y arriverai jamais tout à fait. Mais, je sais, en gros, ce qu’il me reste à accomplir pour tenter d’être celui que j’avais imaginé.

GALA : Evelyne, étiez-vous dans la salle au moment où Pierre a fait son premier malaise sur scène, il y a deux mois ?
E. B. : Pas du tout ! Je m’étais cassé le poignet et je revenais des urgences avec un énorme plâtre ! Muriel Robin m’appelle ce jour-là, en me disant : « il faut que tu viennes immédiatement. » J’ai eu très, très peur. J’avais vu qu’il était fatigué, cet été. C’est normal avec tout ce qu’il fait. Mais je ne m’attendais pas à ça. C’était violent.

GALA : Cet « incident médical » a-t-il changé quelque chose entre vous ?
E. B. : Pour moi, non. J’ai juste eu peur qu’il soit très mal et que notre vie soit plus compliquée. Il est avant tout un homme de théâtre, un homme de public. Il aime les gens, il aime être sur scène, même s’il dit qu’il a envie de faire des choses avec moi. J’ai eu peur qu’il soit amputé de ça.

“Pierre ne pourrait pas se passer du théâtre. C’est très fatigant, c’est un stress énorme mais c’est ainsi. ”
Evelyne Bouix

GALA : Pierre, quel genre de femme est Evelyne dans ces moments-là ?
P. A. : Dans les coups durs, Evelyne est exceptionnelle ! C’est une force de la nature, elle est mon roc ! Elle prend tout à bras-le-corps. Je me bande les yeux et je me laisse guider par elle, toujours et tout le temps.

GALA : Vous venez de fêter vos 79 ans, le 1er décembre…
P. A. : Oui et à cet âge-là, c’est un jour de deuil ! Je ne fête pas mon anniversaire, je fête celui des autres. D’autant que, dans un an, ce sera un âge tragique ! Bon, on dira que j’ai quatre fois vingt ans.

GALA : On a compris que dans votre couple, c’est Evelyne la plus responsable !
P. A. : Oui, bien sûr ! Moi, je suis un gosse, il y a toute une série de choses que je devrais prendre au sérieux et qui m’emmerdent. Là, il faut que je sois un peu plus raisonnable. Ma femme est une personne fondamentale dans mon existence. On est liés depuis trente-huit ans. Chez les acteurs, on doit être les recordman et recordwoman de la discipline ! On se donne des rendez-vous d’amoureux. On a des projets d’ados, c’est absolument délicieux.

GALA : On vous sent fasciné par la puissance et le mystère du sentiment amoureux…
P. A. : Oui, on continue de s’aimer, d’avoir envie d’être l’un avec l’autre, d’avoir des choses à se raconter.

GALA : Comment se dit-on encore « je t’aime », après trente-huit ans d’amour ?
E. B. : Je lui dis «je t’aime» quand je le trouve beau, quand il a un beau sourire, parce qu’il m’attendrit, quand il me fait plaisir.
P. A. : On se le dit tous les matins et cinq fois par jour au téléphone quand nous ne sommes pas ensemble. C’est normal ! Enfin, c’est normal… Non, c’est assez rare en fait !

GALA : Qu’évoque pour vous la notion de vieillir ensemble ?
P. A. : Cela ne veut rien dire. Vivre ensemble, ça oui ! Ma femme n’est pas vieille et moi non plus. Nous sommes encore des galopins.
E. B. : Des galopins ? Tu as raison ! J’aime bien quand tu parles comme ça !

GALA : Pierre, vous nous avez beaucoup touchés dans Sept à huit en évoquant, bouleversé, « les enfants tenant dans la rue la main de leur père ou de leur mère ». Qui pleure en vous à ce moment-là, l’homme ou l’enfant ?
P. A. : Les deux. C’est l’homme-enfant, c’est l’enfant-homme, je ne sais pas. Quand on pleure, on pleure sur soi-même. On sait qu’à un moment donné, cette main va disparaître. J’ai été ce petit garçon qui galopait, mon père sur son vélo, et ma mère qui nous tenait par la main, ma sœur et moi.

GALA : Est-ce que vous pleurez l’insouciance de l’enfance ?
P. A. : Non, non, je ne peux pas dire ça. Ma mère m’a toujours dit : « Un homme qui ne sait pas pleurer n’est pas un homme parce qu’il ne s’attache à rien. »

GALA : Quel cadeau, elle vous a fait là !
P. A. : Elle a fait l’homme que je suis devenu. Mon père a fait l’acteur. Je leur dois tout, à ces deux-là. Quand mon âme est touchée au plus profond, les larmes viennent toutes seules. Mes émotions ne m’effraient pas, j’en suis même très fier.

GALA : Evelyne, comment vivez-vous cette sensibilité ou cette hypersensibilité de Pierre ?
E. B. : C’est une hypersensibilité. Avec les années, certains sujets le touchent énormément, d’autres le blessent particulièrement. Je pense que c’est lié à la fuite du temps. Ce que je respecte. Je trouve cela bouleversant. Mais, quand il fait face à un trop plein d’émotions, cela me perturbe. Me gêne. Je suis quelqu’un de très pudique. La vie est parfois compliquée, la vie fait peur, la vie qui s’en va tout doucement aussi… Pierre y pense beaucoup. Mais moi, je ne veux pas me pencher sur la question.

GALA : L’idée qu’un jour, il puisse ne plus être là, vous y pensez ?
E. B. : Je ne veux pas. Je suis dans le présent, tout le temps. Pierre a tendance à penser à l’après, je l’entends, je le comprends, mais je n’ai pas envie de le suivre sur ce terrain.

“Ce n’est pas parce que, tout à coup, j’ai eu une baisse de tension que je suis devenu un légume”
Pierre Arditi

GALA : Pierre, vous dites que la mort vous « emmerde »…
P. A. : Ah oui, la mort m’emmerde. Je n’ai pas envie que ça s’arrête ! Pourquoi voudriez-vous que ça s’arrête d’ailleurs ! Je vais vous dire une chose : ce qui m’ennuie le plus, mais je précise que c’est une boutade, c’est que les autres continuent alors que je ne serai plus là. De quel droit ! [Rires] Plus sérieusement, oui j’ai peur de la déchéance physique. Grâce à Dieu, je n’y suis pas confronté. Ce n’est pas parce que, tout à coup, j’ai eu une baisse de tension que je suis devenu un légume. Je suis extrêmement performant. Mon père est mort « alzheimérien ». Il était brillantissime, intelligent, beau, c’était mon phare. Pendant huit ans, petit à petit, ça s’est dégradé. A un moment donné, je suis devenu le père de mon père. Cela reste un choc terrible pour moi. Mes parents ne sont plus là évidemment, mais je leur parle tout le temps. D’ailleurs, j’ai toujours cette sensation étrange qu’un jour, je les croiserai au coin d’une rue et qu’ils me feront un signe. C’est étrange, car je suis un athée mystique, mais un athée quand même. Il faut qu’ils se magnent parce que je ne vais pas durer comme ça pendant trente ans !

GALA : Vous parlez peu de votre statut de grands-parents, mais il se dit que vous vous régalez dans ce rôle-là aussi…
P. A. : J’ai toujours pensé que, lorsqu’on m’appellerait papi, je serais furieux et en réalité, je suis fou de bon heur ! Salomé, la fille d’ Evelyne et Claude Lelouch, que j’ai élevée puisque je suis rentré dans la vie de sa mère, lorsqu’elle elle avait 3 ans, a une f ille merveilleuse. Elle s’appelle Gabrielle [qui aura bientôt dix ans, ndlr]. Elle a deux grands-pères. Moi, je suis un « beau-grand-père ». Je suis Papi Pierrot et c’est capital !
E. B. : Je l’aime cette petite-fille ! Je ne me fais pas appeler par un autre prénom. Quand elle crie « Mamie, mamie », pour moi, c’est comme lorsque Salomé disait maman. Je lui parle beaucoup plus de la vie, des valeurs, de ce que sont les gens, comment il faut vivre avec eux… chose que je ne faisais avec sa mère. Cet enfant est un cadeau de la vie. Elle est la gaîté incarnée. Pierre et moi sommes comblés.

Cet article était à retrouver dans le Gala N°1592, disponible le 14 décembre dernier dans les kiosques. Le nouveau numéro de Gala sort ce jeudi 21 décembre 2023. Bonne lecture.

Crédits photos : COADIC GUIREC / BESTIMAGE

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